Les leçons des femmes révolutionnaires françaises pour notre avenir technologique
- Dr Audrey-Flore Ngomsik

- 14 juil.
- 11 min de lecture

Il était une fois en France...
Il y a 236 ans, aujourd'hui, la prise de la Bastille marquait non seulement le début de la Révolution française, mais aussi le moment où l’humanité entrevoyait la possibilité de redéfinir le pouvoir lui-même.
Aujourd'hui, alors que nous nous trouvons au seuil d'une nouvelle ère transformatrice, définie par l'intelligence artificielle, la crise climatique et des capacités technologiques sans précédent, nous devons nous demander :
« Concevrons-nous un progrès qui aide chaque communauté à prospérer ? »
ou
« Allons-nous continuer à commettre les mêmes erreurs qui ont détruit nos chances de véritable changement ? »
La réponse réside dans la compréhension de la manière dont les femmes de 1789 ont brièvement brisé l’architecture de l’exclusion et de la manière dont le Code de Napoléon l’a méthodiquement reconstruite.
Leur histoire est le modèle qui nous permettra de traverser de manière équitable notre transition technologique actuelle.
Les femmes extraordinaires qui ont réécrit les règles
Si les livres d'histoire parlent souvent des hommes de la Révolution française, il y a eu des femmes incroyables qui n'ont pas simplement demandé à rejoindre le jeu.
Olympe de Gouges : La rédactrice de règles

En 1791, elle rédigea ce qu'elle appelait la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ».

Pensez-y comme ceci : les hommes avaient écrit une liste de droits qui disait
"Tous les Hommes sont égaux" ,
mais ils voulaient vraiment dire
« Tous les hommes sont égaux. »
Olympe regarda cela et dit :
« Attendez une minute ! Si tous les êtres humains sont égaux, les femmes aussi ! »
Elle n'a pas demandé la permission d'être incluse. Elle a proclamé que les femmes étaient déjà égales et a exigé que tout le monde le reconnaisse. C'était comme si elle se levait au milieu de la cour de récréation et disait :
« Ce sont les nouvelles règles, et elles s’appliquent à tout le monde ! »
Pauline Léon : La protectrice

Il y eut ensuite Pauline Léon. En 1792, elle se présenta au gouvernement avec une pétition signée par 319 femmes demandant le droit de former leur propre garde et de porter des armes.
« Si nous sommes tous citoyens, nous devrions tous avoir le droit de protéger notre communauté. »
Elles ont compris que la véritable égalité signifiait avoir leur mot à dire sur la manière dont la société reste en sécurité.
Elles ne demandaient pas seulement à rejoindre l’armée, elles voulaient montrer que les femmes pouvaient aussi contribuer à protéger le pays.
Il ne s’agissait pas seulement de se battre ; il s’agissait de dire :
« Nous pouvons être citoyennes et prendre des décisions, tout comme les hommes. »
La société des femmes républicaines révolutionnaires : Les bâtisseuses d'équipe
Pauline et son amie Claire Lacombe firent quelque chose d'encore plus extraordinaire : elles fondèrent un club appelé la Société des femmes républicaines révolutionnaires en 1793.
Ce n’était pas n’importe quel club, c’était comme créer une toute nouvelle façon pour les gens de travailler ensemble.
Au lieu de se contenter de se plaindre de l'injustice du système scolaire, elles ont créé leur propre conseil étudiant, réellement au service de tous. Elles avaient compris qu'on ne peut pas régler un problème à la fois, il faut analyser les liens entre tous les problèmes.

Elles ont compris qu'un changement systémique exige une innovation institutionnelle. Elles ont construit des structures alternatives, créé de nouvelles formes d'organisation politique et développé des cadres d'action collective qui remettaient simultanément en question les inégalités économiques et l'exclusion genrée.
Ces femmes pratiquaient ce que nous appelons aujourd’hui la gouvernance intersectionnelle, comprenant que la lutte contre l’oppression économique et la lutte pour les droits des femmes n’étaient pas des batailles séparées, mais des aspects interconnectés d’une transformation plus large de la manière dont le pouvoir fonctionne.
Comment le progrès peut reculer
C'est ici que notre histoire prend une triste tournure.
Puis vint Napoléon, et avec lui, la reconstruction magistrale du contrôle patriarcal déguisé en modernisation.
Napoléon est arrivé et a réalisé l’un des tours les plus sournois de l’histoire.
Il était comme un enfant qui prétend être d'accord avec les nouvelles règles, mais qui les modifie ensuite lentement pour son seul bénéfice.
Le maître du faux progrès
Napoléon était intelligent.
Il n'a pas dit:
« Les femmes ne devraient pas avoir de droits ! »
Au lieu de cela, il a dit des choses comme
« Bien sûr que les femmes sont importantes ! Elles sont si importantes qu'elles devraient se concentrer sur la maternité et la famille. »
Le Code Napoléon de 1804 représente l’un des exemples les plus sophistiqués de l’histoire de la manière dont le progrès technologique et institutionnel peut être utilisé comme arme pour renforcer les hiérarchies existantes.
Napoléon avait compris une chose essentielle : on ne vaincra pas les mouvements révolutionnaires en s’y opposant directement. On s’approprie leur langage, on absorbe leurs innovations et on redirige leur énergie vers le renforcement des systèmes mêmes qu’ils cherchaient à démanteler.
Son régime a conservé les éléments méritocratiques de la Révolution, pour les hommes, tout en démantelant systématiquement tous les acquis juridiques et financiers que les femmes avaient obtenus.
Selon les lois de Napoléon :
Les femmes ont perdu le droit de contrôler la propriété,
Elles ne pouvaient pas divorcer de leur mari, droit qu'elles avaient acquis auparavant. Une femme ne pouvait divorcer que si son mari amenait sa maîtresse au foyer familial, tandis que les hommes pouvaient divorcer pour infidélité, voire les emprisonner.
Il s’agissait de la reconstruction stratégique de la domination à l’aide des outils du progrès.
Leur parole au tribunal valait moins que celle d'un homme.
Elles ont été traités comme des enfants toute leur vie.
La stratégie du silence
Napoléon craignait particulièrement les femmes intelligentes et capables de penser par elles-mêmes. Lorsqu'une femme brillante, Madame de Staël, critiquait son gouvernement, il ne se contenta pas de l'ignorer, il la bannit de France. Il reconnaissait ainsi systématiquement que les femmes indépendantes d'esprit représentaient une menace pour la structure de pouvoir centralisée qu'il était en train de construire. Il lui aurait adressé ces paroles :
« La première dame du monde est celle qui fait le plus d’enfants. »
Il révéla ainsi quelque chose de plus surnois : réduire les femmes à des fonctions biologiques tandis que les hommes revendiquent la sphère des idées et de la gouvernance.

Faisons-nous les mêmes erreurs aujourd’hui ?
Maintenant, vous vous demandez peut-être,
« Pourquoi devrais-je me soucier de quelque chose qui s’est passé il y a si longtemps ? »
Parce que nous vivons un moment similaire en ce moment !
Les nouveaux éléments de base
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un moment similaire de transformation potentielle. L'intelligence artificielle, les biotechnologies et les solutions climatiques offrent des opportunités sans précédent pour restructurer le fonctionnement des sociétés humaines. Pourtant, nous observons le même schéma se dérouler : le progrès technologique est capté par les structures de pouvoir existantes, le potentiel révolutionnaire est récupéré par les hiérarchies traditionnelles.
Considérez la manière dont la gouvernance de l'IA est actuellement structurée. Les mêmes institutions qui ont historiquement exclu les femmes, les personnes de couleur et les voix des pays du Sud se positionnent désormais comme les autorités quant à la réglementation et au déploiement de ces technologies.
Le langage est inclusif, les objectifs déclarés sont équitables, mais les structures décisionnelles réelles reproduisent les mêmes exclusions qui ont conduit à la crise climatique, aux inégalités systémiques et aux dommages technologiques que nous essayons maintenant de résoudre.
Nous observons le modèle napoléonien : des outils révolutionnaires sont utilisés pour renforcer les structures de pouvoir existantes, tandis que les voix les plus capables d’élaborer des solutions véritablement transformatrices sont systématiquement marginalisées ou cooptées.
Tout comme Napoléon, les dirigeants d'aujourd'hui utilisent souvent le langage de l'équité tout en préservant les anciennes structures de pouvoir. Ils tiennent des propos comme :
« Nous nous soucions de la diversité »
tout en veillant à ce que les décisions les plus importantes soient toujours prises par le même type de personnes qui les ont toujours prises.
C'est comme construire une nouvelle maison luxueuse, mais laisser le même groupe décider de son apparence. Ceux qui pourraient apporter les meilleures idées sont souvent laissés pour compte.
Comment construire quelque chose de mieux ?
Les femmes de la Révolution française nous montrent une meilleure voie.
Le véritable changement ne consiste pas seulement à accueillir quelques nouveaux membres dans le club traditionnel. Il s'agit d'avoir le courage de créer de nouveaux clubs, de nouvelles règles et de nouvelles façons de partager le pouvoir.
Cela exige le courage de concevoir des cadres entièrement nouveaux sur la manière dont les décisions sont prises, dont les ressources sont distribuées et dont le pouvoir lui-même fonctionne.
Nous devons écouter les personnes qui ont été laissées de côté, car elles savent ce qui ne fonctionne pas et elles ont des idées sur ce qui pourrait fonctionner.
L'objectif n'est pas seulement de remonter au sommet de l'ancienne échelle. Il s'agit de construire une nouvelle échelle accessible à tous.
Les personnes qui ont été exclues du pouvoir ne sont pas seulement des victimes qui ont besoin d’aide.
Ce sont en fait eux qui ont les meilleures idées pour résoudre les problèmes !
Pensez-y ainsi : si vous n'avez jamais eu l'occasion de jouer à un jeu, vous remarquerez plus facilement les injustices des règles. Si vous avez dû résoudre des problèmes sans aide, vous deviendrez très doué pour trouver des solutions créatives.
Il ne s'agit pas de créer une entreprise ou de surmonter un désavantage. Il s'agit de reconnaître que notre défi civilisationnel actuel requiert la combinaison exacte d'expériences qui ont été systématiquement exclues des postes d'autorité : celles et ceux qui comprennent l'oppression intersectionnelle, qui ont traversé des systèmes conçus pour les exclure et qui possèdent l'architecture intellectuelle nécessaire pour imaginer des structures véritablement alternatives.
La question n'est pas de savoir si les voix marginalisées peuvent atteindre les plus hautes sphères des institutions existantes. La question est de savoir si nous reconnaîtrons que le plus haut niveau est redéfini par ceux qui comprennent que le progrès technologique sans transformation structurelle n'est pas un progrès, mais une régression complexe.
La pensée intersectionnelle en action
Les femmes qui ont pris d’assaut Versailles en 1789 ont compris quelque chose que nous apprenons encore : que la sécurité alimentaire, la justice économique et la représentation politique ne sont pas des questions distinctes mais des aspects interconnectés d’un système qui doit être transformé de manière holistique.
Les femmes de la Révolution française avaient ce qu’on appelait une « pensée intersectionnelle ».
C’est une façon élégante de dire qu’elles avaient compris que tous les problèmes sont liés.
Elles ont vu que :
Les problèmes économiques sont liés aux droits des femmes
Les pénuries alimentaires sont liées au pouvoir politique
La liberté personnelle est liée à la sécurité de la communauté.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis similaires et interconnectés : le changement climatique, la gouvernance de l’IA, la réglementation des biotechnologies, les inégalités mondiales, nécessitent la même approche intégrée.
Le changement climatique est lié aux inégalités
La technologie au service de l'équité
Les problèmes mondiaux sont liés à des solutions locales.
La gouvernance intersectionnelle implique de reconnaître que les personnes les plus impactées par les transitions technologiques ne sont pas des parties prenantes à consulter, mais des architectes dont l'expertise est essentielle à la conception de systèmes adaptés à tous. Cela implique de comprendre que la durabilité n'est pas un problème technique à résoudre, mais un cadre pour réorganiser les relations humaines entre elles et avec la planète. |
Les femmes de 1793 ont créé des clubs politiques, des structures économiques alternatives et de nouvelles formes de participation civique, car elles ont compris que la transformation exigeait la construction d’institutions, et pas seulement la défense de politiques.
La transition technologique actuelle exige la même approche : de nouvelles institutions, de nouveaux processus de prise de décision et de nouveaux cadres de responsabilisation qui mettent au centre les voix et les expériences de ceux qui ont été systématiquement exclus.
Comment construire un avenir meilleur ?
Les femmes de la Révolution française ont brièvement entrevu un monde où le pouvoir pouvait être organisé différemment. Elles ont créé de nouvelles institutions, développé de nouveaux cadres de participation civique et démontré que des citoyens ordinaires pouvaient orchestrer des changements extraordinaires.
Elles ont été systématiquement écrasées non pas parce que leurs idées étaient fausses, mais parce qu’elles étaient trop justes, trop menaçantes pour les hiérarchies existantes.
Aujourd'hui, nous avons l'opportunité d'achever leur révolution. Non pas en prenant d'assaut des bastilles physiques, mais en construisant l'architecture institutionnelle et intellectuelle d'un monde où le progrès technologique servira l'épanouissement humain plutôt que de renforcer la domination.
C'est là l'enjeu de notre époque : non pas de surmonter les désavantages, mais de tirer parti de la combinaison exacte d'expériences nécessaires pour relever le défi fondamental de la civilisation.
Le plus haut niveau doit être redéfini par ceux qui comprennent que le véritable progrès exige le courage de concevoir des systèmes entièrement nouveaux et la sagesse d'apprendre de ceux qui ont tenté leur chance avant nous.
Alors, que pouvons-nous apprendre de ces femmes courageuses ? Comment pouvons-nous éviter de reproduire les mêmes erreurs ?
1. Ne vous contentez pas de rejoindre... Transformez
Les femmes révolutionnaires n'ont pas seulement demandé à être intégrées au système existant. Elles ont imaginé des façons radicalement nouvelles d'organiser la société. Aujourd'hui, nous ne devons pas simplement chercher à intégrer davantage de personnes diverses dans les anciennes institutions, mais créer de nouvelles institutions plus adaptées à tous.
2. Construisez des équipes, pas des tours
Au lieu de chercher à s'emparer des structures de pouvoir existantes, nous devrions construire des réseaux de personnes travaillant ensemble. Les clubs de femmes de 1793 étaient plus puissants que les dirigeants individuels, car elles ont créé des changements durables grâce à la coopération.
3. Reliez les points
N'oubliez pas que tous les grands problèmes sont liés. Impossible de résoudre le changement climatique sans s'attaquer aux inégalités. Impossible de rendre la technologie équitable sans inclure des voix diverses. Impossible d'instaurer un changement durable sans comprendre les liens entre les différents défis.
4. Apprendre des exclus
Ceux qui ont été exclus du pouvoir ont souvent les meilleures idées pour améliorer les choses. Leur expérience de la gestion de systèmes injustes leur donne une vision unique de la façon d'en construire de meilleurs.
La révolution continue
Voici la partie la plus excitante de notre histoire : ce n’est pas fini !
Nous vivons une époque où nous pourrions achever ce que ces femmes courageuses ont commencé.
Nous disposons d’outils qu’elles n’auraient jamais pu imaginer.
Nous pouvons communiquer instantanément à travers le monde.
Nous pouvons accéder à des informations qui étaient autrefois cachées.
Nous pouvons organiser des mouvements qui s’étendent sur plusieurs continents.
Nous pouvons créer des technologies qui résolvent des problèmes anciens.
La question est :
Allons-nous utiliser ces outils pour construire quelque chose de vraiment nouveau, ou allons-nous les laisser être capturés par les mêmes vieux modèles de pouvoir ?
Votre rôle dans l'histoire
Vous pourriez penser,
« Je ne suis qu'une personne. Que puis-je faire ? »
Mais rappelez-vous, Olympe de Gouges n’était qu’une personne parmi d’autres lorsqu’elle a réécrit les règles.
Pauline Léon n’était qu’une seule personne lorsqu’elle a organisé 319 femmes.
Chaque révolution commence par des individus qui décident qu’ils peuvent contribuer à construire quelque chose de meilleur.
Le choix nous appartient
Les femmes de 1789 nous ont montré que des gens ordinaires peuvent orchestrer des changements extraordinaires. Elles ont prouvé que lorsque nous avons le courage d'imaginer de nouvelles possibilités, nous pouvons entrevoir brièvement un monde où le pouvoir est organisé différemment.
Napoléon nous a montré à quelle vitesse le progrès peut être inversé lorsque nous ne sommes pas vigilants pour le protéger.
Aujourd'hui, nous pouvons choisir l'histoire que nous voulons poursuivre. Nous pouvons bâtir des systèmes qui favorisent l'épanouissement de tous, ou nous pouvons voir les nouvelles technologies devenir des outils de domination.
La révolution n'est pas un événement passé, c'est un choix que nous pouvons faire aujourd'hui. Chaque fois que nous remettons en question des systèmes injustes, chaque fois que nous incluons des voix qui ont été exclues, chaque fois que nous construisons quelque chose de nouveau au lieu de simplement réparer quelque chose d'ancien, nous poursuivons l'œuvre commencée par ces femmes courageuses.
Les éléments de base sont entre nos mains.
La question est :
« Que construirons-nous ensemble ? »
Cette réflexion a été suscitée par la reconnaissance du fait que la Fête nationale française commémore non seulement la prise de la Bastille, mais aussi le moment où des citoyens ordinaires ont démontré que le pouvoir lui-même pouvait être réorganisé. Face à notre propre transformation potentielle, nous devons nous demander si nous allons bâtir des systèmes qui engendreront des formes florissantes ou sophistiquées de la même domination ancestrale.
Références




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